Que ce soit la BBC, SkyNews, APTV, Euronews, France Télévisions, LCI, i-télé ou l’INA, les professionnels de l’information à la télévision se posent tous les mêmes questions à l’heure où leurs contenus deviennent disponibles sur la TNT, le satellite, le câble, l’internet, le mobile et les autres appareils nomades de loisir numérique.
Comment gagner de l’argent sur ces nouveaux canaux de distribution ?
Comment satisfaire la demande croissante de vidéo des consommateurs ?
Comment maintenir la notoriété de leur marque sur toutes les plateformes ?
Des réponses seront peut-être apportées lors de la prochaine session de NewsNext. En attendant, la première édition de cette conférence, organisée au Palais du Luxembourg ce vendredi par Alexandre Farro de So Pleased et le cabinet de conseil Headway International dirigé par Serge Schick et Arnaud Dupont, a eu le mérite de poser le débat.
Dans ce compte-rendu partiel et volontairement partial, j’insisterai sur les enjeux éditoriaux auxquels sont confrontés les grands médias ou diffuseurs de contenus cités plus haut. Pour bénéficier d’un point de vue complémentaire, je vous renvoie aux articles de mes camarades Jérôme Bouteiller sur Neteco et Joël Wirtzel dans Satellifax.
Il me semble intéressant de commencer par le journal de 20 heures des chaînes généralistes, sous un éclairage journalistique puis marketing.
Paul Nahon, directeur général adjoint en charge de l’information sur France 3, ancien producteur et co-présentateur du magazine « Envoyé spécial » avec Bernard Benyamin, estime que le service public doit se différencier sur le contenu de ses journaux. Dans un contexte d’accélération de l’information, de course au scoop et au direct, il souhaite plus de qualité, plus de distance et plus de vérification dans le traitement des infos. Il est rejoint sur ce point par Jean-Claude Dassier, ancien journaliste lui aussi et aujourd’hui directeur général de LCI. Selon lui, « l’heure est venue de prendre son temps. La lenteur est désormais une qualité dans les chaînes d’information permanente… sans pour autant roupiller ». Cette analyse éditoriale est corroborée par les analyses marketing.
Médéric Albouy, directeur adjoint des études à France Télévisions, explique que le citoyen consommateur d’info est face à une offre surabondante. « Le téléspectateur est déjà informé avant, le journal télévisé n’a donc plus besoin d’être exhaustif. (…) Sur un JT de 40 minutes, il y a un roulement des téléspectateurs. Les courbes d’audiences montrent par exemple que le sacro-saint 20H démarre plutôt à 20H10, juste après les Guignols de l’info sur Canal+ et le 6 Minutes de M6.(…) Les téléspectateurs sont généralement en attente des titres ou du dossier de la grand messe du soir. De plus en plus, le champ de l’info s’ouvre au péri-informatif avec des reportages people, culture ou science.(…) L’audience des JT de TF1 et France 2 s’est maintenue au fil des années, en dépit de la multiplication des moyens d’information, mais le public est plus exigeant sur la qualité ». Contrairement à ce que pense Loïc Le Meur, et comme j’ai déjà eu l’occasion de lui écrire, le 20H est un format pérenne et fédérateur sur les chaînes généralistes. Mais ce contenu est en train de s’affranchir du média TV. Le concept du 20H doit donc être décliné sur le web et le mobile.
Sous l’effet de la convergence, les grands médias anglo-saxons (je trouve les français à la traîne) ont annoncé des stratégies multi-plateformes ambitieuses. A l’initiative de son directeur général Mark Thompson, la BBC a lancé au printemps le programme « Creative Future » riche en expérimentations autour de la vidéo à la demande et de la participation des téléspectateurs / télénautes. Dernier rejeton en date du service public britannique, un format court et rythmé destiné aux jeunes : STORYfix est un montage en 7 minutes des principales informations de la semaine, disponible en VOD à streamer et en podcast à télécharger. Si ce nouveau programme vidéo rencontre le succès sur le web, la BBC devrait pratiquer le « reverse engineering » en diffusant courant octobre ce VODcast / Podcast sur une de ses antennes broadcast de la TNT. Originale, cette manière de reconquérir le jeune public !
Chez le concurrent direct, SkyNews, l’innovation est également au rendez-vous. Simon Buck, l’un des rédacteurs en chef de la chaîne info britannique de News Corp, a diffusé pour la première fois en public une démonstration vidéo des services interactifs sur lesquels travaille son groupe. Mélange de télévision, d’internet et de vidéo sur mobile, certaines applications font appel aux contributions directes des téléspectateurs en vidéo. Très impressionnant ! Selon une étude commanditée par SkyNews, plus de la moitié des individus sont près à abandonner leur téléviseur s’ils devaient choisir entre la TV et le PC comme terminal de consultation. SkyNews a d’ores et déjà intégré ses rédactions TV et Internet pour éditer ses contenus en multi-plateforme.
Pour terminer sur les contributions des téléspectateurs à l’antenne, le « user-generated content » dont je parle régulièrement sur ce blog, je vous propose une interview vidéo de l’un des intervenants de cette conférence NewsNext. Il s’agit de Jean-Paul Billault, rédacteur en chef à l’agence de presse CAPA Télévision, dirigée par Hervé Chabalier. Cet été, Jean-Paul a vu arriver à lui des particuliers qui lui ont proposé des images vidéo inédites. Dans un cas, ce sont des vacanciers qui étaient au Liban lorsque le conflit avec Israël a éclaté. Avec leur caméscope, ils ont filmé de manière impromptue une famille du Hezbollah. Dans un autre, ce sont des jeunes de banlieue, à Clichy et Montfermeil, qui ont filmé sans tabou leur quotidien pendant plusieurs mois après les émeutes de novembre 2005. Des images qu’aucun journaliste professionnel n’aurait pu réaliser. Certains de ces documents sont en cours de vérification et de production chez CAPA pour une diffusion d’ici la fin de l’année sur une chaîne de service public.
Jean-Paul Billault insiste sur le fait que ce contenu vidéo auto-produit n’est pas de l’information, mais du témoignage. Cela ne remet donc pas en question le modèle des chaînes de télévision. Ecoutez-le sur la réappropriation de la télévision par le public et la nécessaire éducation des jeunes aux médias, c’est passionnant !
Interview réalisée avec un vidéophone Nokia N90 (en attendant le N93 encore plus performant), format natif vidéo MPEG-4 de 352 x 288 pixels. Remerciements à Nokia France.
Repères dans la vidéo :
- 0’05 Présentation de Jean-Paul Billault, rédacteur en chef à l’agence de presse CAPA TV
- 0'15 CAPA TV et les images vidéos inédites proposées par des particuliers pour la télévision
- 1'30 Exemple d'images du Liban en guerre dans une famille du Hezbollah ou de la banlieue française - Clichy et Montfermeil - avec des jeunes des cités pendant la Coupe du monde de football
- 2'30 Témoignage sincère, mais importance des producteurs de télévision qui doivent vérifier les informations
- 3'20 Diffusion de vidéos personnelles sur le web (YouTube ou DailyMotion) sans contrôle par des professionnels : aucune confiance possible, ce n'est pas de l'information, ce n'est pas comparable à la télévision
- 5'00 Depuis 25 ans, l'offre d'information et de chaînes de télévision a explosé, mais l'éducation aux médias a régressé. Les enseignants ne regardent pas assez la télé et ne peuvent échanger avec les jeunes pour qui la TV est partie intégrante de leur culture
- 6'20 La culture manga formidable outil de sémiologie de l'image ; les Pokémons sont une métaphore de la vie et de la transformation pour les enfants
- 7'15 En 1981, avec 3 chaînes de télévision, le lendemain on pouvait discuter / partager autour des programmes au bistrot, à l'école, au travail. Plus maintenant avec l'offre de chaînes élargie !
- 8'10 Si on ne discute plus de la télévision, il n'y a plus d'esprit critique qui se forme
- 8'20 La consommation de TV délinéarisée, à la demande sur Internet, fait peur. Les programmes sur disque dur ou iPod TV sont sanctionnés immédiatement s'ils ne plaisent pas. Culture "trash bin", on jette aussitôt et on consomme finalement moins de télévision.
- 8'50 Il faut réapprendre aux jeunes à regarder les contenus dans la linéarité