Pas de cours magistral dans le grand Amphi de l’Université de Paris Dauphine, ce mardi. Mais une audience studieuse et captive pour la conférence de l’Electronic Business Group consacrée à la vidéo sur mobile.
A défaut de tests à grande échelle en France, pour le moment, tous les acteurs du mobile et de la télévision en sont réduits à analyser les expériences étrangères, passer au crible les études de marchés de grands instituts… et pêcher quelques infos dans des conférences où chacun épie son voisin et tente d’éviter les fuites sur ses propres projets. Résultat, pas de scoop à l’occasion de ce débat !
Sur le fond, les orateurs décrivent trois axes de travail dans les prochains mois :
1 - mesurer l’appétence des consommateurs pour ces nouveaux services,
2 - bâtir une offre tarifaire simple,
3 - faire vivre l’écosystème de la TV sur mobile.
Chez le premier opérateur mobile français, Julien Billot annonce d’ores et déjà 1 million de vidéos téléchargées par mois et 50.000 clients à la TV Live. Le directeur marketing d’Orange croit au mobile comme 4ème écran après le cinéma, la télévision et l’ordinateur personnel. Avec une spécificité : il ne s’agit plus d’usages collectifs mais d’usages individuels. Il envisage le mobile comme le média personnel que l’on peut consulter quand on veut et où l’on veut. Conséquence : il faut le traiter comme un média à part avec des formats et contenus spécifiques. A titre d’exemple, la pub télé diffusée sur mobile ne pourra être la même que sur un téléviseur, ne serait-ce qu’à cause de la taille d’écran. Afin d’évaluer l’intérêt de ses clients pour ces nouveaux services audiovisuels, Orange va bientôt tester la vidéo à la demande et la télévision gratuites les week-ends.
Même état d’esprit chez SFR. Solène Jaboulet, responsable des partenariats stratégiques, explique que l’offre Découverte permet aux abonnés de s’essayer gratuitement au visionnage de 29 chaînes TV live et à la vidéo à la demande.
Laurent Herbillon, directeur du développement des services de Bouygues Telecom, n’est pas sur la même longueur d’onde. Il souligne qu’aujourd’hui regarder le journal télévisé de TF1 sur son mobile coûte près de 15 euros compte tenu de la facturation du transfert de données par les opérateurs. Il estime qu’il faut créer des contenus avec une vraie valeur ajoutée en situation de mobilité et un prix réaliste. Pour le moment, Bouygues mise surtout sur la personnalisation du téléphone, l’usage dominant du multimédia mobile. Depuis novembre 2004, un million de vidéo sonneries ont été téléchargées sur le portail i-mode.
Résolument aux antipodes de cette position prudente, on trouve le vice-président et délégué général de Nokia Mobile Phone. Serge Ferre se montre volontariste en pointant le potentiel de la TV sur mobile si elle venait à rattraper les usages de la télévision… avec, rêve-t-il, plusieurs heures de consommation par jour. Il prédit une très forte croissance pour arriver dans 5 ans à un marché de masse, là où la voix sur mobile a mis 15 ans pour s’imposer depuis les débuts du GSM.
Côté éditeur, le directeur général de France Télévisions Interactive, Laurent Souloumiac estime qu’il faut nécessairement adapter les contenus au terminaux avec des formats courts et du recadrage. La télévision de service public compte bien se positionner sur l’info, l’info régionale en particulier avec les rédactions de France 3, le sport et le divertissement. Mais il exclut totalement une thématique : le charme. Concernant le modèle économique, pas de tabou. Tout ce qui n’est pas financé par la redevance, autrement dit en dehors de la diffusion hertzienne terrestre, tout peut être payant.
Quant à TPS, éditeur de bouquet numérique, il souhaite construire sa propre offre mobile dans un univers audiovisuel en expansion. Son directeur général adjoint marketing commercial et développement, Franck Abihssira, veut proposer des packages de « time-consuming » pour que les abonnés puissent regarder la TV où qu’ils soient et quel que soit leur terminal. Il insiste sur la nécessaire compréhension des besoins des mobinautes d’aujourd’hui et de demain. Reste à identifier les contenus qui marchent, puis ensuite à construire une offre de services à un prix adapté et à faire vivre l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur : chaînes TV, éditeurs vidéo, agrégateurs de contenus, distributeurs de bouquet, opérateurs mobile, équipementiers et fabricants de terminaux…
Fait suffisamment rare pour être souligné, la régulation était bien représentée à la tribune avec un membre du CSA, Francis Beck, et un membre de l’ART, Michel Feneyrol. Tous deux ont noté que la TV sur mobile n’est qu’une évolution logique de la numérisation de l’audiovisuel. On assiste à une dynamique des offres identique à celles du câble et de la paire cuivrée téléphonique avec une convergence multiple play : voix, data, image fixe et à présent vidéo. Francis Beck se dit agnostique sur le choix d’un modèle gratuit ou payant. Selon lui, les deux peuvent co-exister sur le mobile. C’est aux opérateurs de prendre leurs risques. Michel Feneyrol voit dans le budget de la ménagère une limite au développement d’offres payantes. La communication électronique représente près 2,4% du budget moyen des Français. Difficile d’imaginer une croissance du volume de ces dépenses, ce qui signifie que le consommateur substituera la vidéo à la voix dans son panier télécom.
Sur le plan technique, les réseaux point à point du type GPRS, EDGE ou 3G avec la norme UMTS ne seront pas en mesure de délivrer des flux vidéo simultanés dans le cadre d’une consommation de masse. Il faut donc envisager des solutions broadcast en s’appuyant par exemple sur la norme DMB expérimentée en Corée ou sur la norme européenne DVB-H. Le CSA se dit également agnostique quant aux choix technologiques pour la diffusion de chaînes de télévision sur terminaux mobiles. La limitation réside dans la disponibilité des ressources hertziennes. Les fréquences font partie du domaine public et sont rares. C’est donc l’expérimentation qui permettra de déterminer quelle utilisation en faire, notamment les bandes de fréquence IV et V de la TNT. Seront-elles dédiées au mobile ou aux télévision locales ou encore à la TVHD ?
A l’issue de tests techniques sur deux fréquences depuis la Tour Eiffel, le CSA devrait donner prochainement son autorisation pour deux expérimentations de TV sur mobile en septembre. Deux consortiums sont en lice : l’un emmené par SFR, l’autre par Orange et Bouygues.
L’ART est en phase avec la démarche du CSA. Mais Michel Feneyrol ajoute qu’il faudra veiller à ce que la réception soit bonne en outdoor et en indoor, ce qui exclut d’emblée de hautes fréquences comme le satellite ou le Wi-Fi peu pénétrantes dans les bâtiments. Il sera nécessaire aussi de s’assurer de la cohérence de nos choix technologiques avec nos voisins européens, avec pour corollaire une compatibilité des terminaux de réception mobile.
Conclusion : sur le plan technique, réglementaire et économique, il faudra attendre la fin de l’année, dans le meilleur des cas, pour voir le marché de la télévision sur mobile se dessiner.
Ci-dessous, en goodies photo à défaut de vidéo, mes amis blogueurs présents à la conférence de l’EBG : Olivier Missir, aka PeeWee, et un joli binôme de pros de la VoD Rodriguo Sepulveda et Emery Doligé.
Loin des amphis, la TV sur mobile est aussi un sujet d’étude dans la blogosphère, alors n’hésitez pas à réagir et à donner votre avis de client/prospect potentiel.