Comment les chaînes de télévision traditionnelles broadcastées et linéaires vont-elles pouvoir résister au morcellement des audiences sous les coups de boutoir de la vidéo personnalisée et à la demande ? La principale menace vient-elle des sites Internet de partage vidéo (YouTube, DailyMotion, Revver, Guba, Metacafe,...) ? Ou bien des boîtiers protéiformes (Xbox, AppleTV, TiVo,...) qui permettent d’accéder à de la vidéo, voire à de la télévision, via les réseaux haut débit ? Ou encore d’applications de TV interactive en peer-to-peer sur le PC comme Joost ou Veoh ?
L’information est passée inaperçue en France, mais elle est symptomatique des enjeux d’usages autour de la TV 2.0, cette TV télévision personnalisée, à la demande, et parfois participative : 42% des internautes américains ont consulté le site de partage vidéo YouTube, soit 1 point de plus que les sites vidéo des grands networks TV (ABC, CBS, NBC, Fox…) et 7 points de plus que ceux des chaînes infos comme CNN.com. 14% des internautes américains fréquentent régulièrement YouTube. Et un tiers de ces vidéonautes déclarent regarder des vidéos sur YouTube au détriment du temps passé devant leur téléviseur.
Voilà ce qui ressort de l’étude menée par l’institut Harris Interactive, auprès d’un échantillon de 2309 Américains majeurs, en décembre 2006. On peut imaginer que la même étude conduite sur une population de 14-18 ans, les « digital natives », amplifierait probablement le rapport de force en faveur de YouTube. Néanmoins, la question de l’expérience ressentie par l’utilisateur reste centrale dans la capacité des plateformes vidéo à fidéliser et surtout monétiser leur audience. Dans la même étude d’Harris Interactive, on notera que les trois quarts des utilisateurs fréquenteraient moins YouTube, si le site leur imposait de regarder un spot de publicité avant chaque vidéo.
Qu’en serait-il également de l’audience, si YouTube devait se passer du contenu professionnel (celui des grandes chaînes TV, des studios de cinéma ou des majors du disque) mis en ligne légalement ou piraté ? C’est un autre débat, fondamental, traité régulièrement sur ce blog.
Au-delà des aspects qualitatifs et exclusifs du contenu, l’expérience de l’utilisateur en situation de consommer de la vidéo se qualifie aussi par le type d’interface homme-machine (IHM). Mais dans le domaine de la télévision et de la convergence numérique, les nouveaux entrants avec des technologies innovantes font parfois moins bien que les opérateurs historiques. Il suffit de comparer l’interface écran compliquée d’une Freebox 5 HD, avec sa télécommande dernier cri, inutilisable par le téléspectateur moyen, aux écrans de navigation simples et intuitifs d’une DigitalBox de Noos… conçus eux il y a plusieurs années. Free serait bien inspiré de faire des efforts d’ergonomie sur ses services d’IPTV comme le guide des programmes télé (EPG), l’accès aux enregistrements sur le disque dur de la Freebox (PVR) ou la navigation dans les services de vidéo à la demande (VOD). En TV 2.0, la satisfaction du client passe par une expérience de la vidéo à la fois enrichie et fluide !
Tous ces aspects ergonomiques, essentiels, sont bien évidemment conditionnés par les technologies d’accès et les terminaux numériques associés à cette consommation de TV et/ou vidéo.
Un petit détour par La Vegas, où se tenait début janvier le Consumers Electronics Show (CES 2007), s’impose avec l’excellent compte-rendu qu’en a fait Oliver Ezratty, consultant en stratégies de l’innovation. Son rapport est disponible en téléchargement, sous Creative Commons, ici. A lire, une vingtaine de pages consacrées à la vidéo numérique et à la télévision : régulation aux USA et en France ; écosystème de la TVHD ; comparaison des solutions de PVR / EPG ; offres autour de Windows Media Center ; autres Media Center à base de PC ; offres à base de set-top-boxes ; offres de « Place and time shifting » ; offres d’IPTV et de VOD ; bataille du DVD HD Année 2 ; enregistrement vidéo numérique ; décrypter le HDMI.
Extrait du rapport d’Oliver :
« La télévision est le dernier maillon des médias qui est en train de passer dans la moulinette de la convergence numérique. Et on n’est encore qu’au milieu du gué. La télévision devient multiforme : de la basse définition sur mobiles et PC à la haute définition sur grand écran, des grandes chaînes à la télévision amateur sur YouTube, de la télévision en famille à la télévision personnalisée que l’on regarde n’importe où sur n’importe quel appareil, et la multiplicité des tuyaux en entrée (câble, satellite, hertzien, Internet) qu’en sortie (wifi, PC, mobiles, écrans, Internet). C’est un véritable déluge de programmes payants et gratuits sur le consommateur1 ! Au CES, on pouvait constater une explosion correspondante des offres de set-top-boxes notamment IPTV, des Media Centers, et autres PVR. Avec une difficulté de s’y retrouver pour les consommateurs dans ces offres surabondantes qui se superposent fonctionnellement. C’est le découplage entre abonnements câble/satellite et acquisition de set-top-boxes qui change la donne aux USA. On peut maintenant avoir son système de contrôle d’accès CableCards, un standard là-bas, dans son Media Center sous Vista comme dans toute set-top-box, et avec le support de la HD. C’est une véritable révolution que l’on apprécierait de voir rapidement apparaître en France. »
Une étude de Josh Bernoff et Charles S. Golvin du cabinet Forrester Research sur les appareils Internet vidéo (IVD : Internet Video Devices) tombe à point nommé pour analyser les annonces des constructeurs et opérateurs lors du CES et de l’Apple Expo. Selon eux, grâce à sa base déjà installée, la Microsoft Xbox 360 va prendre dans un premier temps la position de leader face à d’autres produits développés notamment par Apple, AT&T et TiVo. Mais cela va être très difficile pour l’ensemble des acteurs : l’intérêt des consommateurs pour ces appareils reste faible et nécessitera une constante stimulation. La recommandation des auteurs pour parvenir au succès : créer une collection de contenus attractive et facile d’accès. Les écrans de contenus pour ces appareils connectés via l’Internet vont en fait créer une nouvelle position de force : l’appareil portail en ligne.
Cliquez sur l’image à droite pour agrandir le tableau, extrait de l'étude, recensant les IVD (Copyright © 2007, Forrester Research, Inc).
A la manière des GYM (Google-Yahoo-MSN) sur le web, ces nouveaux infomédiaires vont donc se positionner habilement dans la chaîne de la valeur de la télévision et de la vidéo pour adresser les consommateurs et tenter de capter les revenus issus de la publicité et des services payants. Bernoff et Golvin recommandent toutefois aux stratèges des agences médias et aux publicitaires de rester prudents, car l’adoption des IVD va être lente et il sera difficile de choisir les partenaires gagnants.
Tous les consommateurs n’ont pas pour autant l’intention d’investir dans des appareils dédiés, de plusieurs de centaines d’euros, rapidement obsolètes. Le marché de la TV sur PC au travers des réseaux haut débit (câble, ADSL, fibre optique) et d’interfaces homme-machine intelligemment pensées peut prétendre à un bel avenir. La plateforme de P2P TV Joost ou encore la solution de téléchargement vidéo en peer-to-peer Veoh offrent potentiellement une expérience riche de la TV sur Internet, avec à terme la possibilité de diffuser de la télévision haute définition (TVHD) à moindre coût.
Ecoutez cette interview vidéo en anglais de Dimitri Shapiro, PDG et co-fondateur de Veoh, réalisée par Andy Plesser sur Beet.TV. Ou comment, avec une simple télécommande à 20 dollars et un logiciel, on transforme son ordinateur en téléviseur interactif grâce à Internet.
Pour conclure ce panorama de la télévision sur Internet, je citerai trois visions d’Olivier Ezratty, dans son rapport du CES, sur des technologies de la TV 2.0 à fort potentiel mais qui restent à développer.
Les solutions de recommandation et de recherche de contenus vidéo seront critiques, notamment dans les guides de programmes qui vont permettre d’accéder à la fois à la télévision « broadcastée » classique, à la vidéo à la demande et à l’infinité de vidéos partagées sur Internet. Et aussi pour les mobiles. Les solutions comme celle de U-Lik auront encore plus de poids quand tous les contenus seront sous « IP ».
Les solutions logicielles et services Web pour faire de la « Social TV », c’est-à-dire permettant d’appliquer à la télévision certains des principes du Web 2.0 : regarder une émission à plusieurs à distance, commenter en directe ou en différé les programmes, tagger les programmes, etc. C’est lié à l’idée précédente de la recommandation.
Les solutions matérielles et logicielles autour de la télévision sur IP et de la vidéo à la demande continuent d’être demandées, mais attention le marché est bien encombré. C’est surtout dans l’interaction entre la télévision sur IP et d’autres composantes comme la publicité ou la relation client que se situent les opportunités. Avec, par exemple, les solutions logicielles et services de la publicité insérée dynamiquement et de manière personnalisée dans les différents flux vidéo numériques qui aboutissent au foyer.
A titre personnel, je crois au potentiel d’outils eCRM (Customer Relationship Management : gestion de la relation client) ou ePRM (Prospect Relationship Management : gestion de la relation prospect) puissants, capables en mode « Pull » comme « Push », d’accroître fortement la consommation de média et la satisfaction des utilisateurs. Les logiques communautaires, telle que la participation active à des programmes TV, le chat autour des vidéos, les recommandations affinitaires, renforceront l’intelligence et la pertinence de tels outils. Conséquence : les infomédiaires, plus que les détenteurs de contenus, risquent bien d’être les maîtres de la TV 2.0.
Et vous, comment voyez-vous l’avenir de cette télévision non-linéaire, personnalisée et participative ?