Si vous disposez d’un débit descendant d’au moins 2 Mb/s par le câble ou l’ADSL, vous êtes dans la cible… sinon, circulez, il n’y a rien à voir !
Attendu sur le terrain de la vidéo à la demande depuis plusieurs mois, le groupe TF1 se lance cette semaine avec, c’est une curiosité, deux offres préparées en parallèle par la même équipe au sein d’e-TF1, sa filiale nouveaux médias. D’un côté une plateforme VOD dont les contenus sont intimement liés à ceux du bouquet TPS (filiale de TF1 et M6), de l’autre la même plateforme technique diffusant cette fois des contenus négociés spécifiquement par le groupe TF1.
Dès le 15 novembre, entre 50 et 100 titres seront disponibles exclusivement en streaming dans ces deux boutiques en ligne. Ce choix restreint de vidéos correspond à une stratégie de limitation des coûts de stockage. C’est aussi une bonne vieille règle de marketing, la loi de Pareto, selon laquelle en distribution 80% du chiffre d’affaires est réalisé par 20% des produits. Protégés par une DRM Windows Media de Microsoft, les films seront consultables durant 24h, pour un prix compris entre 4,99 et 6 euros pour les nouveautés. Des tarifs similaires à ceux du concurrent CanalPlay, lancé à l’automne par Canal+.
J’ai eu la chance d’assister, il y a quelques semaines, à une démonstration de visionnage de « Kill Bill » de Quentin Tarantino sur le site test de TF1 via une simple ligne ADSL. Je n’étais pas en situation de pouvoir mener un essai complet du service, mais j’ai pu constater que le piqué, la fluidité des images et la qualité du son étaient époustouflants. On retrouve même sur certains titres le chapitrage DVD pour naviguer plus facilement dans le flux vidéo en streaming. Les bêta tests ont validé qu'un débit minimal de 1,5 Mb/s, voire 2 Mb/s, est requis pour utiliser le service. A ce jour, plus de 7 millions de foyers sont connectés à Internet par le câble et l'ADSL, mais une partie d'entre eux seulement sont éligibles à de tels débits.
Au programme de son vidéoclub en ligne, TPS annonce des « longs métrages français récents, cultes ou inédits et des nouveautés américaines ». Des accords globaux incluant la distribution en télévision et celle sur Internet ont été conclus avec les studios Sony-Colombia, Paramount et New Regency. La chronologie des médias prévoit que les blockbusters seront en ligne 9 mois après leur sortie en salle (soit 3 mois après la mise en vente du DVD), mais ils seront retirés de la boutique VOD de TPS avant le 12e mois pour ne pas cannibaliser l’exploitation en TV payante sur les chaînes cinéma du bouquet.
En principe, la boutique VOD de TPS devrait proposer des films X,comme c’est déjà le cas en télévision avec le service de pay-per-view Multivision et sur TPS Star. Un marché d’autant plus lucratif pour une diffusion en streaming que la durée moyenne de visionnage d’un porno avoisine les 7 minutes, ce qui minimise les coûts de bande-passante comparativement au téléchargement complet du même film.
Ce double lancement de boutiques concrétise les ambitions du groupe TF1 dans l'univers du divertissement numérique. Lors de la présentation des résultats semestriels, son PDG Patrick Le Lay annonçait un objectif de chiffre d’affaires de 7 millions d’euros pour la VOD en 2007. Et, la semaine dernière, e-TF1 dévoilait la création d’une filiale commune avec son hébergeur Jet Multimédia pour la personnalisation des mobiles. Forte des ses licences en logos, sonneries, jeux et vidéos (Brice de Nice, Star Academy, Lost, Barbapapa, Olympique de Marseille, Djibril Cissé, …), cette joint-venture baptisée TJM vise les 25 millions d’euros pour sa première année d’exploitation.
Tout s’annonce-t-il pour le mieux, dans le meilleur des mondes ? La faiblesse des projets du groupe TF1 réside peut-être, paradoxalement, dans la force de ses marques. Car s’il est probable que la même boutique de VOD de TPS sera dupliquée à l’identique sur les adresses tpsvod.fr et multivision-vod.fr, une seconde boutique ouvrira en parallèle sur le site Internet de TF1 à l'adresse Tf1cinema.fr (mise à jour du 6 mai 2006 : le service rebaptisé TF1 VISION est désormais disponible au sein de l'offre de VOD du portail Noos.fr qui compte plus de 3.000 programmes à la demande). Dans cette boutique, complémentaire ou concurrente selon les avis, pas question pour e-TF1 de proposer les mêmes films que sur la plate-forme sœur TPS VOD. En effet, TPS n’est pas autorisée par les majors américaines du cinéma à pratiquer le sous-licensing des droits auprès de sites Internet tiers. On trouvera donc dans la boutique VOD de tf1.fr, TF1vision, uniquement des films pour lesquels TF1 a négocié les droits, notamment des films distribués en cassettes et DVD par son autre filiale TF1 Vidéo.
Au final, si l’internaute ne trouve pas son bonheur sur TF1vision, il devra donc consulter le site de VOD de TPS… et réciproquement ! Seule, à terme, une sortie de M6 du capital de TPS simplifierait la démarche de TF1, en lui permettant d’unifier ses deux boutiques en ligne en une seule, filiale à 100%. Pour le moment, la multiplicité des marques et des sites risque surtout de compliquer le parcours client des prospects et de les frustrer par des attentes non satisfaites. Pire encore pour TF1, à défaut d’une offre vidéo exhaustive, ses utilisateurs seront tentés d’aller voir chez CanalPlay si le film recherché n’y est pas. C’est là que le modèle de vidéo-club en ligne touche à ses limites. Je ne suis pas sûr que les internautes se contentent, au gré des accords avec les majors d’Hollywood, de l’offre sélective qui leur est proposée chaque mois puis retirée au bout de quelques semaines de la boutique. En dupliquant sur le web le modèle traditionnel de la pay-TV, TF1 comme Canal+ risquent fort d’avoir des surprises. Le haut débit, c’est la liberté de pouvoir changer de site en un clic pour trouver les contenus que l’on recherche. Contrairement au modèle dominant de la télévision financée par la publicité, c’est surtout une attitude de consommation des médias pro-active et non passive face à l'écran.
Tant que l’offre légale de vidéos récentes se limitera (volontairement ou contractuellement) à une centaine de titres et que les fonds de catalogue ne seront pas exploités par les sites payants de VOD, il y a fort à parier que le piratage du cinéma et le peer-to-peer continueront de proliférer.