A une semaine du Festival de Cannes, 750 professionnels des médias et des nouvelles technologies se sont retrouvés vendredi dans la vaste salle de cinéma du Max Linder à Paris pour une super-production « made in France ». Le casting, organisé par l’Electronic Business Group, était resserré mais de très haute volée avec en vedette Patrick Le Lay (TF1), Nicolas de Tavernost (M6) et Jean-Bernard Lévy (Vivendi). L’air de rien, ces trois stars capitalisent plus de 41 milliards d’euros à la bourse de Paris, s’arrogent 48,5% de l’audience TV en 2005 sans leurs chaînes thématiques, et contrôlent près de 10 millions de foyers abonnés à la télévision à péage (Canal+, CanalSat, TPS). Le scénario reposait sur une question : quel avenir pour la distribution audiovisuelle ?
L’animateur du débat, Pierre Beaufils, PDG de Greenwich Consulting, demande d’abord aux trois intervenants de justifier la fusion qu’ils ont initiée entre CanalSat et TPS. Le PDG de Vivendi, Jean-Bernard Lévy, fait le constat que les grandes chaînes (comprendre TF1 et M6 d’un côté, Canal+ de l’autre) ne sont aujourd’hui pas disponibles sur les deux plateformes satellitaires, ce qui est préjudiciable au marché de la télévision payante. Selon lui, « la fusion CanalSat / TPS va bénéficier aux clients et aux éditeurs de chaînes ».
Patrick Le Lay, PDG de TF1, juge moyenne la performance de la télévision par satellite en France, avec 4,2 millions d’abonnés en 10 ans. Et surtout, « la TNT a fait trébucher les recrutements sur le satellite de 40% ces derniers mois ». Les abonnements aux bouquets par ADSL ont partiellement compensé cette baisse. Mais, dans le même temps, les éditeurs ne maîtrisent plus la distribution et la gestion de leurs abonnés. Et ce, au profit des fournisseurs d’accès Internet et des câblo-opérateurs.
A ce propos, quelques chiffres intéressants fournis par Pierre Beaufils sur la pénétration de la TV par ADSL :
- la France compte près de 10 millions de foyers haut débit
- seul 1 million peuvent techniquement regarder la TV par ADSL (contraintes de décodeur et d’éligibilité en fonction de l’éloignement du DSLAM)
- 500.000 foyers ADSL ont acheté au moins une fois un service audiovisuel payant
- 250.000 foyers ADSL ont souscrit à un bouquet TV comme TPS ou CanalSat
Le mythe de la TV par ADSL en prend à nouveau un coup !
Jean-Bernard Lévy estime que dans 5 ans le satellite devrait représenter la moitié des abonnés à la télévision payante, l’autre moitié se répartissant entre l’ADSL, la TNT payante et le câble. Pour le PDG de Vivendi, « le câble est bien placé car il offre un réseau de qualité et un nombre de chaînes infini ».
Patrick Le Lay préfère analyser la distribution TV d’un point de vue économique plutôt que technologique. Il constate que depuis 1988, le marché de la publicité est quasiment constant alors que l’offre de chaînes explose, notamment avec l’arrivée de la TNT gratuite. Pour le patron de TF1, « faire vivre 18 à 20 chaînes nationales, c’est du rêve en couleur ! ». Le PDG de M6 enfonce le clou aussitôt. Selon Nicolas de Tavernost, « la publicité est un marché de l’offre » dépendant des annonceurs. Il y a donc risque d’éparpillement des ressources. Les revenus n’augmentant pas aussi vite que les investissements dans les programmes, il prédit une consolidation du secteur : « nouveaux entrants, premiers sortis ! ». Les groupes NRJ (NRJ 12), Nextradio (BFM TV), AB (NT1, AB1) et Bolloré (Direct 8) apprécieront la formule. Pour Nicolas de Tavernost, « il n’y a de la place que pour 3 ou 4 groupes privés à côté du service public ».
A propos du service public, Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, aurait été bien inspiré de répondre à l'invitation de l'EBG pour défendre son groupe. Les patrons de TF1 et M6 n'ont eu de cesse de dénoncer les « privilèges » dont jouit selon eux la télévision publique, accusant les « politiques » de leur trop forte intervention dans la régulation du paysage audiovisuel français (PAF).
Pour ce qui est de la TV sur mobile, la télévision numérique personnelle (TNP), Jean-Bernard Lévy - déjà opérateur de Canal+ pour les contenus et SFR pour les réseaux - se dit prêt à investir. Patrick Le Lay est positif sur ce nouveau canal de distribution. Selon lui, « la mobilité va accroître la consommation des chaînes, sans rupture de service ».
Interrogé sur sa vision à 10 ans et la convergence, le patron de TF1 a expliqué que l’on ne peut pas faire tous les métiers à la fois (production audiovisuelle, opérateur télécom, portail internet….). Il ne croît pas à la constitution de grands groupes européens. En revanche, il pense que les studios américains pourraient casser le modèle actuel de distribution des films. Mais la télévision devrait s’en sortir dans la mesure où elle repose sur le caractère extrêmement national de ses programmes (journaux télévisés, feuilletons, événements sportifs).
Jean-Bernard Lévy et Nicolas de Tavernost, que vous pouvez retrouver en vidéo sur ce blog, n’ont pas la même vision à 10 ans. Leur stratégie est moins franco-française que celle de TF1 et plus ambitieuse dans le développement multi-canal de leur groupe. Il faut dire que la chaîne du groupe Bouygues est dans une position exceptionnelle de domination du marché de la télévision gratuite quand on compare le paysage audiovisuel français aux autres marchés européens.
Pour ce qui est des projets de TF1 à court terme, Patrick Le Lay s’est montré très prudent en délivrant le minimum d’informations sur « le buzz » [ajout du 28 juin 2006 : nom officiel lors du lancement « WAT.tv » pour We Are Talented], un programme vidéo généré par les utilisateurs (UGC, user generated content), consultable sur le web et sur les mobiles. De source sûre, je peux vous annoncer que la plate-forme de vidéoblogs fournie par DailyMotion sera recettée par TF1 fin mai pour un lancement fin juin. Pour les autres indices, regardez la vidéo ci-dessous. Navré pour la qualité médiocre de l’image et du son, j’étais au premier rang au Max Linder, mais avec un éclairage insuffisant pour mon mobile 3G Nokia N90 et une sonorisation de la salle poussive. Ca, ce n’était pas du grand cinéma !
Repères dans la vidéo :
- Début : [Patrick Le Lay, PDG de TF1, à propos du projet « le buzz », nom officiel du site WAT.tv] M6 et TF1 vivent dans le programme, c’est leur cœur de métier
- 0’35’’ : la télévision à domicile se consomme 2 minutes de plus chaque année, elle est en croissance depuis 20 ans
- 1’10’’ : de nouveaux moyens de regarder la TV, comme la mobilité, vont encore accroître la consommation
- 1’40’’ : le téléspectateur n’a pas la même attitude selon les terminaux, il faut adapter les programmes
- 2’25’’ : TF1 ne travaille pas sur ces projets avec des équipes de télévision, mais avec des équipes qui viennent de la téléphonie
- 2’50’’ : pas de certitude sur le business model, mais TF1 doit être présent sur les nouveaux médias comme tous les groupes de télévision dans le monde
Pour connaître le programme des conférences de l’EBG et adhérer, cliquez ici.
Mes autres notes sur cette conférence de l’Electronic Business Group consacrée à la distribution audiovisuelle :
- un extrait vidéo de l’intervention de Nicolas de Tavernost (M6) sur sa vision à 10 ans
- un extrait vidéo de l’intervention de Jean-Bernard Lévy (Vivendi) sur sa vision à 10 ans
- un extrait vidéo de l’intervention de Nicolas de Tavernost (M6), Patrick Le Lay (TF1) et Jean-Bernard Lévy (Vivendi) sur la vidéo à la demande
A lire également, le compte-rendu de la conférence par Christian Jegourel sur son blog EdgeMinded, avec un bonus en vidéo.