« Entre passivité et interactivité, quelle sera la consommation des médias dans un horizon de cinq ans ? ».
Pour éviter les foudres vengeresses de TVnomics, je ne me lancerai pas dans un nouveau pronostic sur cette question. Voyons plutôt la vision des acteurs réunis ce mardi par l’EBG (Electronic Business Group), lors d’un débat animé par David Naïm, directeur général France de Greenwich Consulting.
Côté chiffres, Benoît Cassaigne, directeur des Nouveaux médias et Internet chez Médiamétrie s’est montré chiche. Il nous apprend qu’aujourd’hui 54% des français sont connectés à Internet (contre 24% en 2001) et que le temps passé devant un ordinateur a doublé en 5 ans. A noter, le fort taux de pénétration de l’Internet chez les 15-25 ans (75%) et les catégories socioprofessionnelles élevées (83%).
Dans la même période, le temps passé devant la Télévision a légèrement progressé (+11 minutes par jour en moyenne) sur les 4 ans et plus, mais on notera une légère érosion sur les 15-25 ans, la génération digitale. Plus inquiétant, le média Radio a perdu, en 5 ans toujours, 10 minutes d’audience par jour après une période de forte croissance. En résumé, selon le dirigeant de Médiamétrie, la consommation de médias a cru, mais le partage entre supports évolue.
Thierry Cammas, patron du groupe MTV en France (MTV, GameOne, Nickelodeon), confirme qu’il n’y a pas encore de ré-arbitrage de l’audience TV traditionnelle vers les nouveaux écrans. En revanche, il voit apparaître de nouveaux usages comme la « catch-up TV ». Selon lui, le visionnage de programmes TV en différé n’est pas l’apanage des plus jeunes, qui préfèrent une consommation vidéo instantanée en flux linéaires ou non-linéaires, mais plutôt des CSP+ qui doivent arbitrer leur temps de consommation des loisirs.
Frédéric Favre s’amuse de la montée en puissance des usages multi-support (TV, mobile, PDA, PC, console….) en détournant le slogan politique de la « rupture tranquille ». Tranquille car le fossé se comble progressivement entre anciens et nouveaux médias. Le directeur Consumer Strategy de Microsoft France pointe une étude de l’IDATE qui annonce une consommation TV de 23 heures / semaine contre 10 heures / semaine pour l’Internet. Il insiste aussi sur le fait que la TV se consomme désormais sur plusieurs types de terminaux comme le PC, le mobile, les consoles de jeux comme la Xbox ou au travers de passerelles multimédia domestiques comme Windows Home Server présenté au Consumer Electronics Show de Las Vegas. A l’image de son partenariat sur l’IPTV (TV par ADSL) avec Club Internet en France, Microsoft souhaite fournir des solutions logicielles pour accéder partout dans le foyer aux programmes audiovisuels via la set-top-box (décodeur triple play).
Chez Club Internet, Valéry Gerfaud confirme les usages croissants de consommation de TV délinéarisée annoncés par sa présidente, Marie-Christine Levet, lors de la dernière conférence internationale de l’IDATE. Le directeur général du fournisseur d’accès à Internet précise qu’il compte sur la « catch-up TV » payante pour créer de la valeur. Et de citer « par exemple, la possibilité de revoir avec sa télécommande l’épisode de Desperate Housewives de la semaine précédente ».
Thierry Cammas précise quant à lui sa vision du modèle économique des chaînes TV dans cet univers multi-plateforme et on-demand. Son groupe essaye d’être gratuit le plus possible, en intégrant ses 3 chaînes MTV dans les bouquets basic des opérateurs. En revanche, c’est une logique d’upsell (vente additionnelle) pour ses contenus premium, comme le flux américain de VH1 ou MTV 2, proposés uniquement en option TV. De même, il cherche à développer un marché « walled-garden » (environnement propriétaire) avec des espaces thématiques payants pour des téléchargements sur son service de VOD (vidéo à la demande) gratuit en streaming MTV Overdrive.
Lors des questions du public, j’ai demandé à Valéry Gerfaud de Club Internet ce qu’il pensait de l’arrivée de Joost, connu précédemment sous le nom de code The Venice Project. Sachant que je vois deux menaces pour les opérateurs avec ce type de service de vidéo et TV en peer-to-peer : un risque de cannibalisation de leur business IPTV et VOD et un risque de coûts inflationnistes sur la bande-passante consommée par leurs abonnés.
Le DG de Club Internet reconnaît ces deux menaces. Sur la première, il estime que l’expérience utilisateur de la TV regardée dans son salon, confortablement installé dans son canapé, a encore de beaux jours devant elle face à la concurrence de la TV sur un écran d’ordinateur. Même si les Media Center et probablement les prochaines versions de Joost vont améliorer, enrichir, cette expérience de la vidéo « PC centric » avec des logiques communautaires. Sur la seconde menace, il se montre plus circonspect voire inquiet. Face l’explosion des coûts de bande-passante avec la TV en P2P, il compte d’une part renégocier les tarifs de dégroupage avec France Télécom ; et, d’autre part, discuter avec les acteurs comme Joost, mais aussi les plateformes de partage vidéo comme YouTube, DailyMotion et Google Vidéo, pour trouver des accords techniques et/ou financiers.
Cette réflexion sur le partage de la valeur entre opérateurs de réseaux physiques et services Internet virtuels rejoint le débat américain sur le « Network Neutrality ».
Et vous, pensez-vous que les opérateurs qui investissent lourdement dans les réseaux câble, ADSL et fibre optique doivent négocier des droits de passage auprès des acteurs de la TV 2.0 qui captent la valeur de leurs abonnés ?