La France va-t-elle rattraper son retard dans le développement des télévisions locales privées ?
A la lueur de l’actualité de ce mois d’octobre, on serait tenté de répondre par l’affirmative.
Deux semaines après le lancement de La Chaîne Marseille, présidée par Jean-Pierre Foucault et dirigée par Pierre Boucaud du groupe Lagardère, c’est au tour de TéléGrenoble d’ouvrir son antenne le 20 octobre. Cette montée en puissance des TV locales hertziennes dans les grandes agglomérations va permettre de franchir le cap des 10 millions d’habitants couverts par les bons vieux réseaux analogiques, seuil requis selon une étude de Carat TVMI pour que les annonceurs nationaux daignent enfin investir les écrans de ces chaînes de complément.
Médiamétrie crédite les télévisions locales d’une part d’audience moyenne de 4,5% entre 19h et 20h, ce qui démontre l’appétence des téléspectateurs pour des programmes de proximité en sus de ceux déjà proposés par France 3 et M6 dans leurs décrochages. Mais jusqu’à présent le seul marché publicitaire local n’a pas permis à ces chaînes, dont le budget de fonctionnement annuel n’excède pas 4 millions d’euros, d’atteindre la rentabilité. A Toulouse comme à Lyon, pour ne parler que des bassins d’audience les plus importants et des « historiques » TLT et TLM, les actionnaires privés et les collectivités ont dû à maintes reprises recapitaliser la chaîne pour assurer sa survie.
Aujourd’hui, le principal facteur accélérateur sur le plan économique est la syndication publicitaire. Chaque chaîne de télévision locale peut proposer des écrans à des annonceurs nationaux au travers d’une régie chargée d’agréger dans un réseau de chaînes des micro audiences, ville par ville. TLR Régies Associées, filiale de Socprint et Interdéco, joue ce rôle de syndicateur sur le marché de la publicité extra-locale avec à date 25 chaînes en portefeuille (TLT, TLM, Clermont Première, 8 Mont Blanc, Nantes 7, TV7 Bordeaux, …, sans oublier LCM à Marseille).
Reste que le secteur des télévisions locales privées est soumis à une certaine instabilité capitalistique. Nantes 7 et la future Angers 7 sont l’objet de convoitises de la part du Télégramme de Brest et de Ouest France, suite à la cession par la Socpresse de son pôle Ouest. Même incidence à Lyon avec le retrait annoncé de la Socpresse du capital du Progrès, actionnaire de référence de TLM. Enfin, le CSA se dit prêt à annuler l’autorisation accordée il y a un an à la société 7L pour la future chaîne 7L Montpellier si elle ne clarifie pas dans les prochains jours la composition de son tour de table. Dans ce contexte, de nouveaux entrants comme Antennes Locales, opérateur de TéléGrenoble et filiale du groupe France Antilles, sont en embuscade pour se constituer un réseau multi-ville sans avoir à repasser par les traditionnels appels à candidature du CSA.
Le Conseil tente quant à lui d’élaborer une vision à moyen terme du marché des télévisions locales en étudiant la migration des chaînes du spectre hertzien analogique (et du câble) vers la TNT. Sur Paris, où il n’existe pas encore de chaîne locale en diffusion hertzienne, le CSA va même plus loin. Le régulateur vient de lancer une consultation publique pour la diffusion en numérique de services de télévision locale gratuits ou payants en Ile-de-France. Les contributions devront être déposées avant le 6 janvier 2006. Le canal 37, exploité provisoirement pour les expérimentations de télévision sur mobile en DVB-H, est en mesure de distribuer jusqu’à 6 chaînes en MPEG-2. A partir de la mi-2006 et sous réserve d'un appel à candidatures du CSA, depuis un point haut comme la Tour Eiffel, un émetteur de 20 kW permettra de toucher 11,2 millions de téléspectateurs franciliens. Avec une telle couverture, sur le plan réglementaire, une chaîne de télévision parisienne ne serait donc pas considérée comme locale mais nationale, avec des contraintes plus fortes en matière capitalistique (dispositif anticoncentration monomédia) et des obligations de production.
L’année 2006 va permettre au CSA de dessiner les contours d’un paysage audiovisuel en mutation avec l’apparition de nouvelles chaînes locales analogiques (Tours, Orléans, Angers) et la montée en puissance de la TNT sur le plan national. La question est de savoir si les pôles industriels en cours de constitution (Lagardère, NRJ, et dans une moindre mesure AB Group et Antennes Locales) seront capables de prendre des parts de marché à l’oligopole de la télévision analogique gratuite TF1 / M6 / France Télévisions. Une partie de la réponse viendra de la satisfaction des attentes des téléspectateurs en matière de programmes locaux et régionaux.