S’il y a bien une seule certitude sur le marché de la Video On Demand (VOD), c’est que cette année sera celle du lancement de nouvelles plates-formes en France.
Les principaux acteurs étaient réunis par l’Electronic Business Group (EBG) ce jeudi à l’Université de Paris-Dauphine. Il ressort de la conférence que la bataille de la VOD n’est pas dénuée d’enjeux pour les groupes médias et télécoms, même si le chiffre d’affaires reste encore anecdotique dans leurs bilans.
Pour Bernard Tani, responsable des activités Vidéo à la demande de France Telecom, le point de départ sera fin juillet le lancement de la V2 du service MaLigneTV, qui permet déjà à 100.000 abonnés de regarder via leur prise téléphonique des vidéos et des chaînes TV sur leur petit écran. Près de 210.000 bande-annonces sont visionnées chaque mois sur le portail, avec un taux de transformation proche de 10% pour les achats de vidéo à l’acte. Le nouveau service permettra au téléspectateur de réaliser des achats d’impulsion, sans avoir à sortir sa Carte Bleue ou à créditer un compte virtuel. Le paiement direct sur la facture France Telecom devrait lever l’un des freins à l’usage. L’autre facteur clé de succès de cette plate-forme devrait résider dans la largeur de son offre de programmes. Bernard Tani parle de « Video On Diversity ». Le documentaire et le théâtre auront leur place au même titre que le cinéma récent et les grands événements sportifs. Le concept de "Long Tail", déjà évoqué dans ce blog, a manifestement séduit France Telecom.
Chez TF1, on se veut moins onirique et, comme souvent dans ce groupe caractérisé par une forte culture d’ingénieurs, pragmatique. Eric Cremer, Secrétaire Général de e-TF1, rappelle que TF1 fait de la VOD depuis… 1995. Les hôtels Latitude, à l’époque propriété du groupe Bouygues, furent les premiers à proposer à leurs clients des films des catalogues TF1 et Warner à la demande. Aujourd’hui, en pleine actualité Festival de Cannes, des hôtels de luxe comme le Carlton et le Majestic exploitent toujours cette plate-forme. Cohérent avec son cœur de métier, TF1 souhaite se positionner comme un éditeur à part entière dans le secteur de la VOD en acquérant des droits auprès des producteurs et en les exploitant au travers de son propre service. Toutes les filiales ont été mises à contribution pour un lancement dans les prochains mois : e-TF1 (internet), TF1 Vidéo (cassettes, DVD) et TPS (bouquet TV par satellite et par ADSL). Actuellement, près de 500 testeurs connectés par différents fournisseurs d’accès câble et ADSL dans toute la France rôdent le service. A leur disposition, une quarantaine de films à visionner en streaming, avec des débits pouvant atteindre 1,5 Mbit/s. Dans ces conditions de diffusion, la qualité de l’image approche celle du DVD. Au moins deux sources m’ont indiqué que via l’accès haut débit Noosnet le résultat était époustouflant. TF1 envisage bien sûr de s’appuyer sur des partenariats de distribution avec des fournisseurs d’accès pour imposer sa plate-forme sur le marché. Reste à voir sur quel catalogue de droits le groupe de Patrick Le Lay pourra compter. Des majors hollywoodiennes seraient de la partie.
En la matière, le groupe Canal+ dispose pour le moment d’un léger avantage. La plate-forme MovieSystem qu’il a rachetée il y a 2 ans est la seule à occuper le terrain chez les fournisseurs d’accès internet depuis 2001, à l’image du Vidéo Club de Noos. (Mise à jour du 6 mai 2006 : Noos a résilié son partenariat avec Canal+ Active. Le câblo-opérateur est désormais partenaire de TF1vision pour la VOD sur PC, avec dès le lancement plus de 500 programmes hors films adultes
Maxime Jappy, co-fondateur et directeur général de la société, donne peu d’indications sur ses projets. Mais Canal+ Active doit depuis plusieurs mois lancer sa propre marque de VOD, baptisée « Kiosque Plus » (précision du 13 septembre 2005 : la marque retenue finalement est CanalPlay) en référence au service de Pay-per-view « Kiosque » exploité sur CanalSatellite et NC-Numéricâble. Ce sont probablement les négociations avec les majors américaines et celles interprofessionnelles sur la chronologie des médias qui achoppent. Maxime Jappy voit un consensus se dessiner autour d’une fenêtre d’exploitation en VOD 9 mois après la sortie en salle des films, soit le même délai que pour le Pay-per-view. Avec un retour d’expérience de quelques années, il livre un autre point clé pour assurer le succès de ce type de service. Le jeune public, qu’il soit derrière son PC ou son téléviseur, a déjà saisi l’intérêt du On Demand : voir ce qu’il veut, quand il veut. En revanche, il faudra pousser les contenus vers les utilisateurs plus âgés, souvent plus passifs face à l’écran. Ce qui implique une capacité de profiling pour suggérer de manière ciblée à chacun des vidéos susceptibles de lui plaire.
Une analyse partagée par Jean-Marc Bordes, directeur général délégué de l’INA. L’Institut National de l’Audiovisuel, qui gère les archives de la télévision française, propose 200.000 heures de programmes numérisés sur un fond de 600.000 heures. Ces contenus sont réservés aux professionnels au travers d’une plate-forme VOD BtoB, mais le grand public peut consulter une partie de notre patrimoine audiovisuel sur le site de l’INA avec un choix d’émissions remontant parfois à l’ORTF… A vous Cognacq-Jay !
Jean-Marc Bordes cite en exemple la télévision publique italienne avec un service gratuit de VOD, RAI Click. La BBC s’apprête à faire même avec de la VOD Creative Commons, qui s’appuie sur la notion de droit moral. En clair, les contribuables britanniques puisqu’ils payent la redevance pourront avoir gracieusement accès à des vidéos à la demande produites par le service public. Lancement en 2006.
Pour le responsable de l’INA, les facteurs clés de succès d’un service de VOD sont :
- la simplicité de l’offre tarifaire et des moyens de paiement
- un outil de recherche puissant et convivial
- la possibilité de consulter des extraits avant l’achat d’impulsion
- une prescription éditoriale et marketing des contenus
- et une qualité de service, sur le plan technique, digne de la télévision
Dans ce débat policé entre grands groupes médias et télécoms, un nouvel entrant est venu jouer les trouble-fêtes. Mihai Crasneanu, président et fondateur de Glowria, annonce qu’il distribue près de 150.000 vidéos payantes par mois soit l’équivalent de 300 TeraBytes transportés dans son cas par le réseau de… La Poste !
Il revendique le statut de professionnel de la vidéo à la demande, même s’il s’agit de DVD envoyés par courrier. Plus sérieusement, sa plate-forme de VOD par internet est fonctionnelle et devrait être lancée pendant l’été. Une incertitude : Glowria réussira-t-il à signer les droits VOD des 8.000 titres déjà exploités en DVD ? Les majors risquent à tout le moins d’avoir des prétentions financières exorbitantes pour cette jeune pousse compte tenu de la concurrence avec les plates-formes de Canal+ et TF1. Le bouillonnant entrepreneur croit toutefois en un autre modèle que le paiement à la consommation. Il plaide pour un modèle SVOD (Subscription Video On Demand) dans lequel le client paie un abonnement forfaitaire mensuel pour une consommation illimitée. C’est selon lui le meilleur moyen de lutter activement contre la piraterie audiovisuelle. Il faut noter qu'en France ce modèle n'est pas viable économiquement puisque des royalties sont reversés aux ayants-droits pour chaque visionnage de leur oeuvre, ce qui impliquerait des coûts variables élevés pour l'opérateur dans le cadre d'un forfait illimité.
En conclusion, il apparaît que l’enjeu de la VOD portera d’abord sur la largeur et la qualité des catalogues de contenus, puis la capacité des éditeurs à maximiser la satisfaction des clients en leur suggérant des titres et enfin sur la simplicité d’utilisation et de paiement des plates-formes.