Vous l’aurez remarqué, cette rentrée du web 2.0 est résolument tournée vers les applications vidéo. On peut même dire que l’on assiste à la première rentrée de la TV 2.0 ; avec, comme lors de toute rentrée, des parents anxieux, impatients de la réussite de leurs chérubins, et des enfants qui eux ne pensent pas encore à l’argent, mais juste à afficher fièrement leurs marques branchées dans la cour d’école et à copier le voisin.
Dans les familles les plus anciennes et les plus fortunées, on trouve Microsoft, News Corp et Google. Leurs rejetons se prénomment respectivement MSN Vidéo, MySpace Vidéo et Google Vidéo Store. Mais on notera l’arrivée dans la cour des grands, en cette rentrée 2006, de nouveaux joueurs, des « pure players » du web 2.0, dont les trois caractéristiques principales sont une capacité à cristalliser autour d’eux des communautés, une forte augmentation des usages, enfin des ressources financières beaucoup plus limitées. Ces petits nouveaux, en pleine croissance, s’appellent YouTube et DailyMotion. Et leurs petits cousins WAT.tv, Kewego, Vpod.tv ou ScrOOn (que j'ai vu tourner - très impressionnant - mais sur lequel je suis tenu au secret jusqu'au lancement), chacun sur un positionnement spécifique, marchent dans leurs pas. Pour suivre leurs progrès et leurs apparitions médiatiques, rendez-vous chez le surveillant général, Jérôme, qui publie chaque semaine sur son blog les carnets de notes de la TV 2.0.
La question à présent est de savoir qui sortira major de promo dans la section vidéo ? Avec pour récompense l’accession à la nouvelle catégorie des grands médias numériques, individualisés et délinéarisés, en passe de rivaliser avec les médias traditionnels, de masse et à consommation simultanée, comme la télévision.
Quels seront les critères d’évaluations des candidats ? A mon avis, les deux critères objectivables et relativement communs dans l’univers des médias sont d’abord l’audience – autrement dit la capacité d’un service à générer un trafic, à fidéliser un public et à accroître les usages – et ensuite la monétisation – c'est-à-dire sa capacité à générer des revenus suffisants pour assurer son développement, sa pérennité et la satisfaction de ses actionnaires. La notoriété de la marque, la qualité voire l’exclusivité des contenus, l’ergonomie du site, le caractère non intrusif de la publicité, la qualité de service, la capacité à écouter les besoins des utilisateurs seront d’autres critères déterminants, mais pas suffisants. Dans un contexte de forte compétition entre services vidéo gratuits, les internautes 2.0 seront volatiles, exigeants et volontiers critiques.
Deux approches semblent aujourd’hui à l’œuvre côté produit, mais il est probable qu’elles finiront par converger rapidement. D’un côté, la diffusion de contenu vidéo professionnel ; de l’autre, le partage communautaire de vidéos personnelles (mais parfois professionnelles, néanmoins, pour les publicités humoristiques et autres détournement / piratage / remontage d’émissions TV, de clips musicaux et de bandes-annonces ciné).
Diffuser du contenu pro, c’est le parti pris de MSN Vidéo qui vient de se lancer en France avec un positionnement fort sur le divertissement et la cible des jeunes internautes, comme l’explique l’article de Pascal Galinier et Olivier Zilbertin dans Le Monde.
« Le tout est extrait du catalogue des différents partenaires de MSN Vidéo : i-Télé (groupe Canal+), qui diffuse sur MSN deux journaux par jour, CanalJ et Filles TV (groupe Lagardère), Musicbrigade (le site de vidéos musicales de Sony et EMI), et surtout Endemol. Le roi de la télé-réalité ("Star Académie"...) a ouvert cinq années d'archives à MSN, soit plus de 2 300 films. MSN, qui a aussi reconduit ses accords passés avec Eurosport et Allociné. Olivier Marcheteau, le directeur général de MSN et Windows Live France, promet "une vingtaine de nouveaux services dans les six mois".
Les programmes sont donc gratuits pour le consommateur, le service étant financé par la publicité : le "web-spectateur" doit accepter une coupure incontournable tous les deux films. Apparemment, cela ne lui pose pas de problème : après quinze jours, MSN annonce 6 millions de films vus par 1 million de visiteurs. Un modèle économique inédit chez Microsoft, qui traduit un véritable choix stratégique. »
Avantage du contenu pro : il rassure les annonceurs qui souhaitent associer leur marque / leurs produits à des vidéos de qualité et à un environnement éditorial maîtrisé. Le potentiel de monétisation publicitaire est supérieur à celui du contenu généré par les utilisateurs (UGC, User-Generated Content). Inconvénient : il faut investir dans la production ou l’achat de droits audiovisuels.
Diffuser du UGC, c’est à l’ inverse le choix de WAT.tv (qui ne m'a pas convaincu techniquement pour n'être pas parvenu à uploader une vidéo de 90 Mo), lancé cet été par le groupe TF1. Dans ce modèle, les coûts de production vidéo sont nuls car supportés par l’utilisateur qui tourne et monte lui-même ses vidéos. La plateforme doit en revanche assumer les coûts d’hébergement et de distribution (qui se comptent en millions de dollars chaque jour pour YouTube compte tenu de son succès phénoménal) et tenter de monétiser un contenu non maîtrisable. Pas évident d’atteindre la rentabilité à court terme.
Je pense que l’avenir de la vidéo sur le web – et par extension l’avenir de la TV 2.0, individualisée et délinéarisée – appartiendra aux sites capables de mélanger intelligemment les contenus vidéo pro et perso. La clé du succès repose sur un équilibre entre communautés, perméabilité et éditorialisation des contenus ; un équilibre à même d’accroître les usages et par conséquent la monétisation publicitaire (je mets volontairement de côté les revenus de la VOD sur les contenus vidéo premium loués /achetés par les utilisateurs).
C’est ce modèle convergent qui commence à apparaître sur toutes les plateformes UGC : YouTube vient de signer des accords avec Warner et le groupe Disney, tandis que MySpace – qui débarque en France – s’apprête à diffuser les séries TV phares de la Fox comme « 24 heures ». Rupert Murdoch, patron de News Corp, annonce d’ailleurs clairement ses ambitions et ne fait pas dans la demi-mesure : d’ici la fin de l’année, MySpace Vidéo devrait dépasser YouTube et ses 100 millions de vidéos regardées par jour. Etant donnée la faiblesse du produit MySpace Vidéo, que j’ai testé récemment, c’est un beau challenge…
Microsoft avance à grands pas également vers l’agrégation des contenus vidéo professionnels et personnels. Le service MSN Soapbox qui démarre aux Etats-Unis est un clône de YouTube. Cette plateforme devrait à terme s’interfacer avec MSN Vidéo mais aussi les blogs Windows Live Space et la messagerie instantanée Windows Live Messenger. J’imagine aussi que les requêtes vidéo dans le moteur Live Search constitueront de puissants affluents des services vidéo de Microsoft. Une belle illustration de ce que j’appelle l’équilibre entre communautés, perméabilité et éditorialisation des contenus.
Cette nouvelle génération de médias numériques, les « Social Media Networks », est très prometteuse. A tel point qu’elle renvoie à leurs chères études les médias traditionnels. L’arrivée de Didier Quillot, en provenance d’Orange, à la tête de Lagardère Média ainsi que la réorganisation du groupe TF1 autour de 6 pôles de contenu sont une amorce de réaction, à défaut de proactivité ou de véritable plan stratégique industriel. La bagarre s’annonce serrée dans la cour de récrée entre les cadors de la TV et les petits nouveaux du web. Elle se jouera certainement à coup d’acquisitions et d’alliances spectaculaires dans les prochains mois. So, stay tuned !
Et vous, quels sont vos pronostics ? Qui va l’emporter ? Pourquoi ?