C’est l’une des forces insoupçonnées de notre ère numérique : grâce à la dématérialisation des œuvres, il n’y a désormais presque plus d’obstacles à la commercialisation et au succès de tous les titres musicaux, tous les films, tous les documentaires… sans exception !
Qu’entend-on ici par succès ? Lorsque une œuvre peut enfin rencontrer son public, sans contraintes physique ou marchande de disponibilité. Et ce, même si son public se limite à une niche de quelques centaines, voire dizaines, d’auditeurs ou de spectateurs. On s’approche alors de ce que les économistes définissent comme un marché pur et parfait.
Dans les linéaires d’un hypermarché, d’un disquaire ou d’un vidéoclub, la surface étant limitée, le référencement l’est aussi. Dès lors, les marchands choisissent de mettre en avant les « tubes », les blockbusters américains et autres produits dérivés de la télévision, sur lesquels la pression publicitaire est énorme. Cette sélection au profit des produits à plus fort potentiel de chiffre d’affaires ne fait que renforcer rétroactivement leur succès commercial au détriment des autres œuvres, plus discrètes mais pas pour autant inintéressantes. On nage alors en pleine distorsion concurrentielle, une forme de darwinisme appliqué aux industries culturelles.
Voyons à présent ce qui pourrait se passer dans le cadre de la distribution en ligne au travers de services élargis de musique à télécharger ou à écouter en streaming et de vidéo à la demande via internet/câble/ADSL.
Un site web a l’avantage de pouvoir délivrer une offre pléthorique, à défaut d’être exhaustive. Il ne connaît plus les problèmes logistiques de stocks à optimiser. Le seul frein reste le coût technique lié à la numérisation massive des œuvres.
Avec des centaines de milliers de références éclectiques au bout du clavier, les cyber-marchands vont pouvoir adresser un marché aujourd’hui non satisfait car inexistant et non rentable dans le monde physique. Finies les queues aux caisses ou les expéditions en Colissimo ? La Fnac, version boutique comme version internet, et Amazon.com risquent en tout cas de voir émerger des concurrents totalement virtuels… et des marchés cachés !
L’enjeu est de taille. Le consommateur va retrouver une place centrale et prépondérante par rapport aux producteurs et distributeurs, en passant d’une économie de l’offre à une économie de la demande.
Un exemple : vous êtes désespérément en quête d’un documentaire sur la pêche à la mouche ou sur les chants traditionnels en quechua. Impossible de trouver en boutique ou en vente par correspondance ce DVD tiré à 200 exemplaires. Rien ne vous empêche alors d’assouvir instantanément vos envies…
Une recherche dans le moteur du site marchand. Il vous propose une liste de titres dont vous pouvez visionner un extrait. Il ne vous reste plus qu’à conclure par la transaction et la livraison au travers de votre ligne haut débit.
Cette revanche des « bides » sur les « tubes » est aujourd’hui une gageure. Mais des projets sont en préparation. En France, La Banque Audiovisuelle entend proposer d’ici fin 2005 le visionnage en streaming, ainsi que le téléchargement sur le disque dur de l’ordinateur et le gravage en DVD, d’émissions télévisées ou de documentaires ultra spécialisés. Des œuvres audiovisuelles de qualité, souvent méconnues, autour de la science, de la connaissance et de la culture. Des œuvres généralement diffusées sur les chaînes thématiques, mais qui n’ont pas pu être commercialisées en DVD ou VHS auprès du grand public par manque de rentabilité.Toutefois, il faut reconnaître qu’au-delà de cette largeur et cette profondeur de l’offre les cyber-marchands resteront les maîtres du jeu avec un fort pouvoir de prescription. Les logiques éditoriales et marketing de visibilité accrue pour certains titres ne devraient pas disparaître de si tôt.
Comment ce marché de micro niches juxtaposées peut-il prétendre rencontrer son public ? Quelle est la taille du marché global des « bides » face à celui des « tubes » ?
Quelques surprises et un début de réponse avec cet article du rédacteur en chef du magazine Wired sur « La Longue Queue » publié en octobre 2004.
Une traduction française est disponible sur le site d’Internet Actu.