Free qui propose de regarder directement la TV sur son PC en envoyant un signal vidéo analogique sur le port Ethernet en sortie de Freebox ; Neuf TV qui permet d’enregistrer sur son disque dur les programmes TV en numérique avec son lecteur « MP9 Premium » (une offre que soit-dit en passant Michaël Boukobza, directeur général de Free, considère comme illégale) ; Alice qui distribue le bouquet TPS ; MaLigneTV de France Telecom qui commercialise CanalSat ou TPS et bientôt une offre de chaînes gratuites du type TNT ; enfin, courant 2006, le lancement d’offres de TV par ADSL chez AOL et chez Tele2… pas de doute, les opérateurs télécoms sont engagés dans la voie de la distribution audiovisuelle.
Grâce à la technologie ADSL, 12 millions de foyers français sont éligibles à cette nouvelle offre de télévision élargie, contre 8 millions pour le câble. Les éditeurs de chaînes et les distributeurs de bouquets numériques, issus du monde des médias, n’ont a priori qu’à se féliciter de ce nouveau marché potentiel qui s’ouvre à eux, après celui de l’hertzien, du câble et du satellite. Mais leur sentiment est en réalité plus mitigé, comme l’explique le journaliste Enguérand Renault dans Les Echos.
« Le subtil équilibre est en train de basculer au profit des opérateurs de télécoms. Car lors des négociations entre les groupes de télécoms et ceux de médias pour les offres de TV sur
ADSL, les premiers ont obtenu le contrôle du décodeur. Les LiveBox de France Télécom, les Freebox de Free et le boîtier de Neuf Cegetel remplacent les décodeurs CanalSat et TPS. Cela a deux conséquences majeures. La première est que les bouquets de télévision perdent une part importante de leur rentabilité en étant privés des revenus de location du boîtier. Car, une fois le coût du décodeur amorti, la location mensuelle se transforme en marge nette. Auparavant, cette manne bénéficiait aux groupes de télévision, maintenant elle bénéficie aux opérateurs de télécoms. [...] Deuxième conséquence : en contrôlant le boîtier, les opérateurs de télécoms contrôlent le lancement de nouveaux services numériques comme la vidéo à la demande, les magnétoscopes à disque dur... Or, ces services pourraient générer un revenu additionnel de 5 à 10 euros par mois. Les médias réclament leur part du gâteau. Les opérateurs de télécoms y consentent si ces services sont associés aux programmes de télévision. Sur tous les autres services issus du monde de l'internet, ils ne sont guère enclins à partager ».
A titre d’illustration, Patrick Le Lay, président de TF1, actionnaire principal de TPS, n’a pas caché ses craintes lors de la conférence NPA Conseil, fin novembre, face à la montée en puissance des telcos dans la chaîne de la valeur. Il a réclamé publiquement à Patricia Langrand, directeur de la Division d’Agrégation des Contenus de France Télécom, une renégociation du contrat les liant pour le partage des revenus sur la location des décodeurs LiveBox. Un ressentiment nourri également par le fait que France Telecom cherche, avec cette même Division, à bâtir une véritable offre de contenus convergente en multi-plateforme (haut débit, mobile, ligne fixe). L’objectif fixé dans le plan « NeXT » de FT est de réaliser 400 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les contenus en 2008, soit l’équivalent du chiffre d’affaires global d’un câblo-opérateur comme UPC-Noos. Le groupe TF1, dont les ambitions sont conjoncturellement limitées par la faible croissance du marché publicitaire et les difficultés de TPS à recruter des abonnés, n’apprécie pas forcément de voir débarquer sur son métier historique des opérateurs qui peuvent compter sur l’énorme cash-flow généré dans le fixe et surtout le mobile.
En revanche, Guy Lafarge, directeur général de CanalSat et directeur général adjoint distribution du groupe Canal+, affiche une certaine sérénité face aux telcos, même si les discussions commerciales pour la reprise de son bouquet sont ardues. « Je n’ai aucune crainte ! », a-t-il déclaré hier lors d’une conférence du séminaire de l’Institut Multi-Médias. Selon lui, « Canal+ ne vend pas de l’accès à des contenus, mais une ligne éditoriale ». Il considère que les opérateurs télécoms ne sont pas légitimes à construire de véritables offres de contenus, même si comme France Télécom ils tentent d’agréger des catalogues audiovisuels et d’acheter des droits TV sur des événements, notamment sportifs ou musicaux. Guy Lafarge explique même que les fournisseurs d’accès à Internet vont de plus en plus avoir besoin des marques comme celles du groupe Canal+ en TV par ADSL pour limiter leur churn (pertes d’abonnés). Et de citer la fidélité exceptionnelle des abonnés à la chaîne premium Canal+, avec un taux de churn de seulement 10% par an, quand les opérateurs télécoms limitent au mieux à 25% l’infidélité de leurs clients.
Dès lors, le rapport de force s’équilibre de nouveau avec les médias. On retrouve les analyses partagées à propos de la VoD et de la télévision sur mobile : au royaume de la convergence, le contenu est roi !