Stendhal disait de sa ville natale que c’est la seule ville où toutes les rues se terminent par une montagne. A présent, chaque rue de la capitale des Alpes, coincée entre massifs du Vercors, de Belledonne et de Chartreuse, est dans la ligne de mire de la trentaine de correspondants amateurs de TéléGrenoble. Leur mission, alimenter l’antenne de ce nouveau concept de télévision locale.
Lancée le 20 octobre, TéléGrenoble table sur un budget annuel de fonctionnement très modeste pour une chaîne locale privée : 1,7 million d’euros. Explication, 150.000 euros serviront à acheter des reportages vidéos amateurs. Les correspondants de la chaîne touchant entre 20 et 30 euros pièce, ce sont au bas mot 5000 vidéos par an, soit une moyenne de 14 reportages amateurs qui alimenteront l’antenne chaque jour. Certes, la chaîne est dirigée par une équipe de professionnels chevronnés, comme son rédacteur en chef Michel Garcin (ex-rédacteur en chef de Radio France Isère) ou son directeur général Francis Raux (ex-directeur de Paru Vendu, le 38). Elle compte également une rédaction, jeune et féminine, avec ses 7 journalistes reporters d’image. Mais TéléGrenoble veut établir une nouvelle forme de médiation avec les 400 000 habitants de l’agglomération qui peuvent recevoir ses programmes sur l’émetteur hertzien analogique de la Tour-Sans-Venin, par le câble ou encore par ADSL.
L’émission emblématique de la chaîne entre 19h et 21h, le « G2 direct », accorde une large place à l’expression citoyenne au travers de ses débats en plateau et de ses reportages. Petite innovation, la rubrique « TéléPerso ». Chaque soir, TéléGrenoble offre aux Grenoblois leur quart d'heure de gloire warholien pour passer une petite annonce ou pousser un coup de gueule grâce à un « vidéomaton » qui déménage chaque jour (comme le plateau du direct d’ailleurs) dans l’agglomération.
Sur le web, la chaîne a commencé à faire des émules avant même son lancement. Chrys, vidéaste grenoblois et créateur du blog des vidéobloggers francophones, suit depuis septembre l’aventure TéléGrenoble. Son site non-officiel raconte au jour le jour l’évolution de la chaîne. Autre source d’information indépendante, le forum animé par Valda.
Pour expliquer la genèse de TéléGrenoble, cette utopie de « chaîne citoyenne, innovante et indépendante », il faut parler d'un entrepreneur des médias : Jacques Rosselin. Souvenez-vous, c’est lui qui avait lancé le magazine Courrier International. Puis, avec quelques années d’anticipation sur le marché du haut débit qui lui seront fatales, il avait créé en 1998 une véritable plate-forme de télévision sur le web, CanalWeb. En 2002, avec son associé Emmanuel des Moutis et l’appui financier réitéré de Pierre Bergé, il fonde Antennes Locales, une structure dont l’objet est de mettre en place un réseau de télévisions locales privées en France. Pour cela, Jacques Rosselin s’inspire en Espagne d’expériences de télévisions de ville, voire de quartier, basées sur la participation citoyenne aux programmes. Dans le courant de l’été 2004, le groupe de presse France Antilles présidé par Frédéric Aurand entre à hauteur de 34% au capital d’Antennes Locales. Ce conglomérat issu d’une partie de l’ancien empire Hersant et du rachat des journaux gratuits de la Comareg ne cache pas ses ambitions sur le marché des médias locaux.
En télévision, au-delà de ses participations actuelles dans Canal 32 à Troyes, Citizen TV à Hérouville-Saint-Clair et bien entendu TéléGrenoble, France Antilles vise une douzaine de chaînes locales d’ici à 2010. Qu’il s’agisse de la future « bataille de Paris » en 2006 pour l’obtention d’un canal local sur la TNT ou d’opportunités en régions, le groupe entend faire sa place dans le paysage audiovisuel.
Concernant la chaîne grenobloise, il me semble intéressant de souligner son évolution capitalistique prévisible. Les éditions Glénat, basées à Grenoble et déjà actionnaires de la chaîne voisine 8 Mont Blanc (qui émet en Savoie et Haute-Savoie), feront bientôt partie du groupe d’actionnaires locaux qui détiendra au moins 34% de TéléGrenoble. A terme, Jacques Rosselin envisage également d’ouvrir le capital de la chaîne à ses collaborateurs, mais peut-être aussi aux téléspectateurs.
Autre particularité, sur le plan des ressources publicitaires qui feront vivre la chaîne, la démarche d’Antennes Locales est à contre-courant de la tendance actuelle, qui veut que les chaînes locales se syndiquent pour toucher des annonceurs nationaux. Dans le business plan présenté lors des auditions devant le CSA, les fondateurs de TéléGrenoble ont estimé à 2,5 millions d’euros leur potentiel de recettes sur le marché publicitaire strictement local. Dans ces conditions, la chaîne pourrait théoriquement s’avérer rentable en quelques années, sans même compter sur les recettes d’annonceurs nationaux.
Seul préalable à cette réussite : que les téléspectateurs grenoblois adhèrent au concept de chaîne participative… et qu’ils la regardent. TéléGrenoble devrait renforcer dans leurs convictions tous ceux qui pensent que la télévision se définit d’abord par ses contenus et non par ses modes de distribution. De nouveaux canaux comme le vidéoblog permettent d’envisager dans les prochaines années un essor des médias citoyens, qu’ils soient de proximité ou non, à l’image du projet d'Aurélien. Grâce à Jacques Rosselin, peut-être CanalWeb est-il de retour ?